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Quand les enseignants innovent

Le Forum des enseignants innovants a rassemblé une centaine de participants. Six projets nous ont enthousiasmés. Nous vous les présentons.

Par Mattea Battaglia et Luc Cédelle

Publié le 21 mai 2011 à 11h45, modifié le 21 mai 2011 à 11h45

Temps de Lecture 12 min.

Le quatrième Forum des enseignants innovants a rassemblé les vendredi 20 et samedi 21 mai 2011 une centaine de participants pour un peu plus de 90 projets présentés. Organisé par le site Internet Le Café pédagogique, soutenu par le ministère de l'éducation nationale et des dizaines d'organisations partenaires, ce Forum réunit des enseignants français du primaire et du secondaire, sélectionnés sur projet.

Une cérémonie de remise des prix aux projets sélectionnés par le jury devait avoir lieu samedi en début de soirée. Certains de ces projets devraient aussi être invités aux premières Journées de l'innovation, organisées à la fin du mois de mai par la Direction générale de l'enseignement scolaire : une initiative témoignant du fait que la pédagogie bénéficierait en haut lieu d'un regain de considération.

L'objectif du Forum reste avant tout de " mettre en réseau " les participants et de les " regonfler " moralement pour leur retour dans leur établissement, souligne François Jarraud, rédacteur en chef du Café pédagogique. Extrêmement divers, les projets font souvent appel aux nouvelles technologies mais sans que cela tourne à l'obligation et en s'efforçant, comme le montrent les quelques exemples suivants, de ne pas perdre de vue les objectifs de transmission des connaissances.

"Un lycée en Avignon"

Son projet s'appelle "Un lycée en Avignon". Mais Serge Court, professeur d'éducation physique et sportive depuis 30 ans, enseigne au lycée Eugène-Livet à Nantes. Depuis 2008, il se rend pendant deux semaines au festival d'Avignon avec un groupe de 15 à 20 élèves.

Serge Court

Ce n'est pas seulement pour se plonger dans un bain culturel, même si cet aspect importe aussi : c'est, chaque fois sur une thématique donnée, pour accomplir la dernière phase d'une activité artistique étalée sur toute l'année scolaire. Le thème choisi pour l'été 2011 —"les crieurs de rue "— sera complété par un travail de reportages sonores ayant pour point de départ les affiches des spectacles. En 2010, c'était l'art de la " déambulation urbaine ", avec une fanfare, des marionnettes géantes animées de l'intérieur et des numéros de circassiens. "Travailler les déplacements, se rappelle-t-il, a été très compliqué. La rue, la foule, les réactions du public sont des paramètres difficiles à maîtriser."

Mais le plus impressionnant a été une création présentée en 2008 en finale d'un travail consacré aux arts du cirque. Une pièce intitulée Piccolo Salto, adaptation en plein air d'une représentation jouée l'année précédente dans le lycée nantais : chorégraphies, jongleries, trapèze, acrobaties…

On peut apprécier le niveau atteint par les élèves, à raison de quatre à cinq heures par semaine de préparation, bien au-delà du traditionnel "spectacle de fin d'année". Il faut dire que Serge Court a une qualification de formateur délivrée par le Centre national des arts du cirque. Ses élèves se hissent à un niveau d'exigence rarement présent dans un cadre scolaire. Et lui, le prof, en est tout rayonnant.

"Apprendre à lire avec Twitter"

"Apprendre à lire avec Twitter" : voilà un projet qui attire l'attention des médias mais a de quoi horrifier les tenants de la tradition. Pourtant, tel n'est nullement le but de Jean-Roch Masson, 34 ans, professeur des écoles depuis septembre 2000 à Dunkerque.

Jean-Roch Masson

Le déclic est venu de sa propre familiarité avec ce type d'outil et d'une petite expérience de micro-blog menée en 2007 dans sa classe de CP. Un an plus tard, il apprend que certains enseignants ont fait de même lors de voyages scolaires. Il écrit un projet, puis saute le pas en novembre 2010. "Ce qui m'a convaincu, ce sont les 140 caractères maximum des messages. Une longueur idéale. Mon objectif est que les enfants triturent le code pour en tirer du sens".

Depuis, ses élèves de CP envoient et reçoivent des messages sur le compte Twitter de leur classe. Pas de menace sur l'apprentissage de la graphie : les tweets ne sont jamais écrits directement au clavier mais d'abord sur un cahier individuel. Pas d'alarme non plus sur l'orthographe : le professeur est très vigilant sur ce point. "En fait, parallèlement à cela, j'ai un travail très classique". Il se répète souvent le conseil de son inspecteur : " ne pas faire passer l'outil avant l'apprentissage ".

Les cours de CP sur Twitter.

Pragmatique, se jugeant étranger en dehors des querelles sur les méthodes de lecture, il assure que son recours à Twitter est comparable à ce que faisait le pédagogue Célestin Freinet avec sa célèbre imprimerie scolaire : faire écrire. "L'élève n'écrit plus pour l'enseignant mais pour être vraiment lu et avoir une réponse."

Il pointe néanmoins deux immenses différences avec l'époque de Freinet : l'instantanéité de la réception des messages et leur extrême visibilité. Ce qui le conduit à faire énormément travailler les règles : droit, usage, politesse, orthographe… La première règle instaurée étant que toute présence d'un élève sur Twitter est accompagnée par un adulte. Par ailleurs, tous les enfants travaillent en binôme et dans une logique d'entraide. Tout cela ne va pas sans questions, auxquelles Jean-Roch Masson réfléchit ouvertement sur son blog.

"Utiliser un monde virtuel dans un dispositif d'apprentissage"

Féru de nouvelles technologies depuis que l'expression existe, Jean-Paul Moiraud, professeur de gestion, enseigne à Lyon, au lycée Lamartinière-Diderot. Son projet s'intitule "Utiliser un monde virtuel dans un dispositif d'apprentissage". Ses étudiantes –  "j'ai un étudiant tous les dix ans", dit-il - suivent un cursus de quatre ans après le bac, pour obtenir un diplôme supérieur d'arts appliqués (DSAA) de créateur de mode.

Jean-Paul Moiraud

La mode, explique-t-il, est un métier extrêmement mondialisé où conception et production se font de plus en plus à distance. D'autre part, il lui est très difficile de faire venir physiquement des créateurs pour participer aux enseignements. C'est pourquoi il a recours à un univers virtuel où chaque personne apparaît sous les traits d'un "avatar", évoluant dans un environnement de synthèse.

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Le professeur ne reconstitue pas de toutes pièces une société parallèle, comme avec le logiciel Second Life, connu du grand public. Une fois par mois, avec une application en ligne dénommée Assemblive et destinée à des usages professionnels, il organise une conférence virtuelle : tous les participants, ou plutôt leurs avatars, s'installent sur des sièges virtuels dans un auditorium virtuel où intervient un professionnel invité. Tout est faux, puisque personne n'est physiquement réuni, et tout est vrai puisque tous sont, à distance, présents sous leur véritable identité, le vrai conférencier répondant à de vraies questions de vraies étudiantes.

C'est un mode d'enseignement qui, sur le plan mondial, émerge à peine. En France, ce professeur a été le premier à utiliser, à partir de 2009, ce type d'application, qu'il a aussi contribué à propager. L'école supérieure de l'Education nationale (ESEN) l'utilise désormais pour des formations à distance, ainsi que l'université Jean-Moulin Lyon 3.

Pour les étudiantes en mode, ces conférences sont un élément d'un dispositif plus large où, pendant deux ans, elles simulent la création d'un cabinet de design. Pour autant, Jean-Paul Moiraud ne pense pas que le numérique va remplacer les professeurs, ni même qu'il permettrait de faire des économies : ce type de dispositif réclame une maîtrise technique qui ne va pas de soi, beaucoup de préparation et, dans l'idéal, des fonctions annexes à celle de l'enseignant.

"Artssoniques"

Voilà un projet pédagogique qui sonne comme le nom d'un groupe de rock. Son objectif : intégrer dès le collège le son comme un matériau à part entière dans les programmes et l'enseignement des arts plastiques. L'idée a germé, fin 2009, dans l'esprit de Jean-Baptiste Prévot, professeur d'histoire-géographie, et de Frédéric Mathevet, docteur en arts plastiques, tous deux enseignants au collège Anceau de Garlande, à Roissy-en-Brie (77).

Ils l'ont concrétisé moins d'un an plus tard : "Depuis septembre, nous questionnons chaque mois notre environnement en demandant à nos élèves de 4e d'y apporter une réponse sonore par la création artistique", explique Jean-Baptiste Prévot. Sept questions ont émergé au fil des mois, propulsant l'art dans les préoccupations quotidiennes des collégiens : "Le son est-il un matériau plastique comme les autres ?" ; "Le plasticien, un gymnaste ?" ; "Les sons et les images qui nous entourent sont-ils innocents ?" ; "Les petits riens de la vie quotidienne sont-ils compatibles avec l'art ?" ; "L'art, une brève histoire du temps ?" ; "L'art peut-il explorer l'intime ?" ; "Art et résistance, même combat ?".

A ces interrogations, les adolescents ont apporté leurs réponses sous forme de photographies, dessins, gouaches, collages, installations vidéos, performances… "en intégrant assez naturellement la contrainte sonore", soutient jean-Baptiste Prévot. L'originalité de la démarche est de placer les élèves dans la posture du chercheur. "Progressivement, ils se sont mis à percevoir leur environnement sonore autrement, comme les bruits du RER à deux pas du collège, qu'ils n'entendaient pas – ou plus", souligne-t-il. "Ils ont entamé une réflexion sur cet environnement et adopté une posture critique ", raconte le jeune enseignant, qui est par ailleurs président de Radio Campus Paris.

C'est sur les ondes de cette radio associative (93,9 FM) que les adolescents les plus motivés ont été invités à diffuser, chaque mois, leur création. "Ces émissions ont été le laboratoire artistique des élèves. Elles les ont amenés à se dépasser, à prendre la parole devant des professionnels. Mais elles ne visaient pas à satisfaire les oreilles des adultes : elles appartenaient aux jeunes, et ils en ont été les acteurs à part entière."

Des acteurs fiers de partager leurs œuvres par-delà des murs de leur établissement. Elèves, parents et enseignants du collège ont été séduits par le projet (ils projettent l'an prochain d'animer une radio toutes disciplines confondues), qui s'est concrétisé sous diverses formes : une exposition, un DVD, un site Internet, un livre-catalogue. Ce dernier se clôt sur une huitième question : "A quoi sert l'enseignement artistique ?" Réponse des auteurs et animateurs d'Artssoniques : "Un cours d'indocilité."

"Bubul et les accidents domestiques, Bubul et le tram…"

Bubul : ce petit bonhomme en pâte à modeler est l'outil qui a permis à Monique Argoualc'h de redonner le goût d'apprendre à des adolescents au bord de la rupture scolaire. Des jeunes encore en âge d'être au collège mais qui le fuient ; des "décrocheurs", dit-on parfois. Pour les "raccrocher" à l'école, cette professeure en classes relais au collège rive droite de Brest (Finistère) expérimente depuis 2008 la création de films d'animation.

Bubul est un petit bonhomme en pâte à modeler qui a permis à Monique Argoualc'h de redonner le goût d'apprendre à des adolescents au bord de la rupture scolaire.

"Ces jeunes ont une relation conflictuelle avec l'école, mais ce qui ressort surtout, au premier contact, c'est leur déficit d'estime de soi", explique-t-elle. "Un film, un DVD, c'est une trace matérielle, tangible, de leurs efforts. C'est valorisant." Il y a trois ans, Monique Argoualc'h a commencé à amené les quatre à cinq adolescents qu'elle encadre trois demi-journées par semaine à la rencontre d'élèves de maternelle. C'est avec ces petits, "pour leur être utiles", qu'ils ont inventé Bubul, un personnage coloré, un brun naïf, mais à la mission très sérieuse : prévenir les accidents domestiques.

"Les maternelles l'ont dessiné, mes élèves lui ont donné corps", avec l'aide d'une plasticienne. Création des décors, écriture des dialogues, conception de la bande-son, tournage… : les jeunes ont franchi toutes les étapes pour faire de Bubul un film de 9 minutes. Et un succès : il a été applaudi par les parents, évoqué dans la presse locale, reconnu comme un outil de prévention.

L'enseignante a renouvelé l'essai cette année. Bubul, désormais en pâte polymère —"c'est plus solide "—, doit prendre le tramway en cours d'aménagement à Brest. "Comme en 2008, mes élèves sont allés recueillir les impressions des plus petits sur ce nouveau mode de transport.""Quelle distance parcourt-il ?" ; "Est-il bruyant ?" ; "Confortable ?" ; "Dangereux ?"… La nouveauté : les adolescents s'expriment sur Internet. Ce sont même eux, d'ailleurs, qui ont initié l'enseignante de maternelle à Twitter ! "A ma grande surprise, je me suis aperçue qu'ils twittaient de chez eux. Pour des jeunes qui n'ouvrent plus, depuis longtemps, leur cartable à la maison, c'est une vraie victoire !"

L'autre victoire, qu'ils ignorent encore, est que leur film devrait être intégré à la campagne de communication officielle du tramway brestois. Une reconnaissance institutionnelle qu'ils n'ont que rarement éprouvée.

Des ateliers de réflexion sur la condition humaine

Philosopher dès le collège : c'est ce à quoi s'emploie Michèle Sillam, professeure de mathématiques à la retraite. Deux fois par semaine, elle refait le chemin qu'elle a emprunté durant quinze ans : direction l'établissement Balzac, porte de Clichy (Paris-17e), ses 1 600 élèves de la 6e à l'après-bac, 960 rien qu'au collège.

Des jeunes "divisés en deux galaxies", explique-t-elle. "D'un côté, les effectifs des classes dites générales, de l'autre, ceux qu'on surnomme les 'internationaux', des adolescents à qui l'on enseigne dans leur langue maternelle, qui n'est pas le français, des enfants de diplomates par exemple." Pour faire le lien entre ces deux communautés, la cour de récréation… et les ateliers qu'elle anime au CDI sur l'heure méridienne – de midi à 13 heures. Un élève le lui a confirmé : "Ce n'est pas souvent qu'on échange nos idées, nous les internationaux, avec les élèves des classes générales, puisqu'on n'est pas dans les mêmes classes. Ca nous apprend à mieux nous connaître."

Michèle Sillam initie des groupes de 15 élèves à la philosophie, ou plutôt à " une " philosophie : les ateliers de réflexion sur la condition humaine (ARCH) définis par le psychanalyste Jacques Lévine (1923-2008) – "un ami", précise-t-elle. L'approche, qu'elle détaille sur son blog, est très ritualisée. Aux jeunes disposés en cercle, elle commence par annoncer : "On va faire de la philosophie." Puis elle leur pose toujours la même question : "Qu'est-ce que ça veut dire, faire de la philosophie ?" Et eux avancent, toujours, la même réponse : "Réfléchir sur des questions que se posent les hommes depuis tout le temps."

Après leur avoir proposé une notion - "croire", "la vie", "être riche", "grandir"… - elle se met en retrait, en dehors du cercle, et garde le silence : "Un façon de dire à l'élève qu'on lui reconnaît un statut d'équivalent, qu'il est capable de penser sans l'enseignant." Avant de parler, les participants doivent se saisir du "bâton de parole", qu'ils s'échangent, se transmettent – "Une manière d'attirer leur attention sur le groupe, de prendre conscience du collectif."

Après dix minutes de discussion, entre jeunes exclusivement, Michèle Sillam reprend la parole pour clore l'atelier. La semaine dernière, elle a posé aux élèves une ultime question : "Qu'est ce qui vous plaît ?" Une réponse l'a particulièrement touchée : "C'est assez bizarre, c'est comme si avec un seau on allait prendre de l'eau, au fond d'un puits, mais là, on va chercher quelque chose au fond de soi."

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